En l’espèce : Mme X et M. Y se sont mariés quelques années après que M. X s’est séparé de la mère de ses deux enfants majeurs A et B. Le couple initie une PMA en Espagne dont résulte la naissance de C quelques jours avant le décès brutal de M. Y. Quelques mois plus tard, Mme X choisit de continuer le projet parental initié du vivant de son défunt mari et accouche de D. Alors que la grossesse de Mme X est en cours, les enfants du premier lit de M. Y , A et B contestent judiciairement la qualité d’héritière de l’enfant à naître comme contraire aux dispositions de l’article 725 du code civil et aux interdits légaux relatifs à cette technique médicale en France. Mme X accouchait en Espagne, la filiation du père décédé était établie dans l’acte de naissance espagnole que le Parquet de Nantes transcrivait quelques semaines plus tard. La filiation de l’enfant n’était donc pas en discussion.
Le principe juridique : L’article 725 du code civil prévoit que « Pour succéder, il faut exister à l’instant de l’ouverture de la succession ou, ayant déjà été conçu, naître viable »
Le problème juridique posé : l’enfant issu d’une création embryonnaire antérieure au décès mais dont l’embryon a été transféré après le décès pouvait-il être considéré comme conçu avant le décès, de sorte que conformément aux dispositions de l’article 725 du code civil, il puisse succéder à son père décédé.
Moyens développés par Mme X : Après avoir démontré que la veuve avait respecté les conditions de la loi espagnole en matière de pma post-mortem, tant en ce qui concerne le consentement du défunt à la PMA post-mortem que le délai de recours à la technique, Mme X faisait valoir que la notion de conception n’ayant pas été définie ni par le texte de 725, ni envisagé dans l’adage « Infans conceptus », il convenait d’en faire une interprétation téléologique, c’est à dire en fonction de sa finalité et du but poursuivi par le législateur, en l’occurrence selon nous, la protection des droits patrimoniaux et successoraux de l’enfant et son intérêt supérieur. A défaut d’une telle analyse, tirer les conséquences de ce qu’une interprétation jurisprudentielle de l’article 725 du code civil privant l’enfant de la qualité d’héritier de son père décédé, contrevenait au cas d’espèce, de manière disproportionnée aux droits et libertés fondamentaux garantis par la CIDE, la charte des droits fondamentaux et la Convention Européenne des Droits de l’Homme
Solution apportée par la Cour : Après avoir rejeté l’interprétation téléologique sollicitée et considéré que l’interprétation de l’article 725 du code civil devait être dicté par les dispositions de l’article L2141-2 du code de la Santé Publique consacrant l’interdit de la pma post-mortem, après avoir effectué un contrôle de la conventionnalité de l’article 725 du code civil qui pour la cour, poursuit un but légitime caractérisé par la poursuite d’un ordre moral, par l’impératif de sécurité juridique des successions et la protection droits et liberté d’autrui, la Cour répondait favorablement à l’argumentation que nous avions développé sur l’atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée ET familiale (article 8 CESDH), au droit de propriété (garanti par l’article 1er du protocole additionnel de la CESDH) combiné au principe de non-discrimination (article 14 de la CESDH). La qualité d’héritière de l’enfant née d’une création embryonnaire antérieure au décès est donc consacrée au cas d’espèce pour éviter de la placer dans la même situation que l’héritier indigne et pour protéger l’équilibre familial recherché « dans ses dimensions symbolique, psychologique, affective et matérielle ».
Axer la décision sur la protection des droits de l’enfant, ses droits fondamentaux et son intérêt supérieur, comme l’avait brillamment développé dans sa consultation transmise au débat, Caroline Siffrein-Blanc, a permis à la Cour de trouver la solution la plus équilibrée au cas d’espèce.
Il n’en demeure pas moins que la solution apportée par la Cour n’a pas de portée générale et qu’il constitue sans doute un véritable appel du pieds au législateur : peut-on prendre le risque encore longtemps qu’un enfant ne puisse établir son identité et s’inscrire pleinement dans sa famille en raison de son mode de conception ?
Cela tombe bien, les auditions débats au CCNE recommencent en vue de préparer les débats parlementaires de la prochaine loi bioéthique.
Par Catherine CLAVIN
Avocate spécialiste en droit de la famille, des personnes et de leur patrimoine
mention spécifique « droit de la filiation »