Analyse et arguments en coulisse d’une décision importante
CA Metz 7 mars 2023 RG 22/00774
Les faits : un couple français de sexes différents (Mme S et M. T) décide de recourir à une gestation pour autrui afin de mener à bien son projet parental. Les deux futurs parents confient à une clinique de fertilité américaine leurs gamètes et une Américaine se porte volontaire pour porter leur enfant.
K nait le 11 août 2019 en Californie.
Conformément aux dispositions de la loi californienne sur la reproduction assistée, la filiation de l’enfant à l’égard de ses deux parents « d’intention », c’est-à-dire à l’égard de ceux qui ont conçu le projet parental, avait été établie, avant la naissance, par voie de jugement en Californie.
A leur retour en France Mme S et M. T saisissaient le tribunal de leur domicile afin de faire reconnaitre la filiation de leur enfant et par conséquent de voir établi un acte de naissance français.
Le tribunal de Sarreguemines rejetait la demande en exequatur de Mme S et de M.T qui interjetaient aussitôt appel devant la Cour d’Appel de Metz.
Par une décision particulièrement motivée reprenant à peu près tous les termes du débat posé par Mme S et M. T, la Cour infirmait le jugement de Sarreguemines et prononçait l’exequatur au terme d’une procédure ayant duré un peu moins de deux ans.
La cour d’appel développait son raisonnement en trois étapes : elle examinait l’intérêt des époux à agir en exequatur, puis vérifiait la réunion des conditions de l’exequatur et en déterminait enfin les effets.
La Cour considérait que l’intérêt à agir des époux S et T résultaient :
- de ce qu’ils n’avaient aucune obligation de se cantonner à une demande en transcription de l’acte de naissance américain de leur enfant comme le suggérait le Parquet Général, transcription qu’ils n’auraient pas obtenue dans sa totalité au regard du droit positif.
- De ce qu’ils n’avaient pas davantage l’obligation d’établir la filiation maternelle par la procédure en adoption intrafamiliale.
D’une part parce qu’elle ne répond pas aux conditions d’effectivité et de célérité nécessaires à la sécurité juridique de l’enfant. Sur ce point, nous avions développé un ensemble d’arguments sur l’aléa évident d’une procédure judiciaire en adoption, et sur la durée moyenne d’une telle procédure sur le territoire français qui n’est absolument pas celle qui avait convaincu la Cour Européenne des Droits de l’Homme dans son avis du 4 avril 2019 ou dans ses arrêts postérieurs.
CEDH D c. France 16 juillet 2020 p12 : « Il [le gouvernement] produit le résultat d’une étude réalisée en 2018 à la demande de la ministre de la justice, dont il ressort qu’il est fait droit à la très grande majorité des demandes d’adoptions formées dans ce contexte. Il indique de plus qu’il ressort des informations les plus récentes recueillies auprès des juridictions françaises que le délai moyen pour l’obtention d’une décision est de 4,7 mois pour l’adoption simple et de 4,1 mois pour l’adoption plénière.
Le gouvernement soutient depuis plusieurs années dans les procédures, menées contre la France devant la CEDH et qui concernent la transcription des actes de naissance étrangers des enfants nés de GPA, que la procédure française en adoption est rapide et effective. Que la majeure partie des tribunaux prononcerait l’adoption intrafamiliale en 4 mois environ. Cette information serait documentée par le rapport sur l’adoption de 2018 commandé par le Ministère de la Justice. L’étude statistique a porté sur les informations données par les 168 tribunaux français chargés de produire notamment toutes les décisions d’adoption plénières prononcées entre le 1er janvier 2018 et le 31 mars 2018 mais la statistique concernant la durée moyenne des procédures en adoption proviendrait d’une autre source : le répertoire général civil, qui déterminerait une durée moyenne de 5 mois environ. Quant au résultat provenant de la remontée des jugements pour la période précitée de 2018, elle montrerait une durée de 5,6 à 6 mois et plus précisément 5.8 mois pour l’adoption intrafamiliale.
§67 : « [La Cour] estime toutefois que, dans les circonstances de la cause, ce n’est pas imposer à la troisième requérante un fardeau excessif que d’attendre des requérants qu’ils engagent une procédure d’adoption, cette procédure étant susceptible d’aboutir rapidement. Elle observe notamment qu’il résulte des indications données par le Gouvernement que la durée moyenne d’obtention d’une décision n’est que de 4,1 mois en cas d’adoption plénière. » Rapport sur l’adoption de 2018 p28 : « Selon le Répertoire général civil, habituellement utilisé pour documenter les durées des affaires de la justice civile la durée moyenne de procédure d’une demande d’adoption plénière se terminant par une acceptation est de l’ordre de 5 mois (4,8 mois exactement). L’écart entre les estimations fournies par les deux sources provient très certainement d’une identification moins précise des affaires d’adoption dans le RGC, la codification des natures d’affaires pouvant être entachée d’erreurs sans que cela nuise à la gestion des affaires, mais de façon préjudiciable à la production statistique. C’est cependant la seule source disponible de façon très régulière, ce qui justifie son usage en dehors de la disponibilité d’enquêtes spécifiques, qui restent ponctuelles. Dans l’enquête menée en 2019 sur les jugements d’adoption de 2018, en revanche, tous les jugements remontés lors de la collecte sont bien des jugements d’adoption (cf. annexe sources et méthodes). A contrario, les résultats tirés de l’enquête résultent d’une estimation calculée à partir d’un échantillon et non pas sur l’exhaustivité des jugements prononcés en 2018, et peuvent être affectés d’un aléa d’échantillonnage. La durée moyenne entre le dépôt de la requête et le jugement d’adoption plénière se situe ainsi dans un intervalle de confiance (à 95%) de 5,6 mois et 6,1 mois
Mais la méthode statistique n’est pas claire puisqu’il n’est absolument pas précisé qu’il ait été effectué une pondération entre le nombre de décisions remontées par un tribunal et le volume total de jugements de la même nature rendus sur le territoire national. Or certaines juridictions comme celles de Paris notamment prononcent bien plus de décisions d’adoption que n’importe quel autre sur le territoire. Et les différences de durée de procédure sont considérables d’un tribunal à l’autre. Les juridictions d’un ressort à haute densité de population telle celle de Paris (dont la durée avoisine plus les 18 mois que 6 !), Lyon ou Marseille …affichent des durées tellement plus longues, avoisinant le double voire parfois plus, que la statistique nationale affichée. Ainsi la durée moyenne abstraite annoncée régulièrement par le gouvernement depuis plusieurs années ne correspond manifestement pas à la réalité. Et l’appréciation par la CEDH dans le respect de l’intérêt supérieur de l’enfant de voir sa filiation établie ou reconnue de manière effective et rapide doit s’effectuer « in concreto ».
Nous avions développé d’autre part, le fait que l’adoption intrafamiliale préconisée par le Parquet vise à établir le lien juridique de filiation d’un enfant à l’égard d’une personne dépourvue de liens biologiques. Or chacun des parents est génétiquement lié à l’enfant. La procédure en adoption était par conséquent totalement inappropriée et aurait été dévoyée s’il avait fallu considérer qu’elle était la seule voie visant à établir une nouvelle fois la filiation maternelle de l’enfant.
La CEDH a d’ailleurs été interpelée à deux reprises sur la problématique de la reconnaissance du lien de filiation de la mère d’intention liée génétiquement à l’enfant, mais elle n’a jamais été saisie régulièrement d’un tel contentieux :
Ainsi dans son premier avis consultatif du 10 avril 2019, la Cour indique que son avis ne concernera pas le cas où l’enfant né grâce à une GPA est issu des gamètes de la mère d’intention. Elle précise en revanche que « Bien que le litige interne ne concerne pas le cas d’un enfant né d’une gestation pour autrui pratiquée à l’étranger et conçu avec les gamètes de la mère d’intention, la Cour juge important de préciser que, lorsque la situation est par ailleurs similaire à celle dont il est question dans ce litige, la nécessité d’offrir une possibilité de reconnaissance du lien entre l’enfant et la mère d’intention vaut a fortiori dans un tel cas. »
Dans son arrêt D c. France du 16 juillet 2020 (dans le contexte d’une GPA menée en Ukraine par un couple de sexes différents qui demandait la transcription, sur les registres français de l’état civil, de l’acte de naissance ukrainien de leur enfant) dont il convient de lire avec attention l’avis concordant du juge O’Leary, alors que les requérants n’avaient soulevé ni devant les instances nationales ni dans leur requête devant la Cour le lien génétique de la mère d’intention, la Cour ne condamne pas la France pour ce refus de transcription totale au regard de sa jurisprudence antérieure. Mais elle indique clairement que le litige aurait pu être examiné sous l’angle de l’article 14 (principe de non-discrimination) et donc de la discrimination existant entre les parents dans une situation identique (le lien génétique) au regard de l’établissement de leur filiation en France, si tant est que la requête eut été régulièrement orientée vers ce droit garanti. Ce qui n’était malheureusement pas le cas lors de la saisine, le Conseil des requérants ayant été fort mal inspirés…, n’ayant choisi de l’axer que sur le droit au respect de la vie privée et familiale garanti par l’article 8 de la CESDH.
CEDH D c. France 16 juillet 2020 §61 : « 61. Certes, sur le plan interne, en l’état du droit positif français à l’époque des faits de la cause, il était à l’inverse possible d’obtenir la transcription de l’acte de naissance étranger pour autant qu’il désignait le père d’intention, père biologique. Comme l’illustre les circonstances de l’espèce, cela créait une différence de traitement quant à l’établissement du lien de filiation entre le père d’intention, père biologique, et la mère d’intention, mère génétique. La présente requête ne concerne toutefois pas les droits des parents d’intention au regard de la Convention, mais uniquement ceux de l’enfant né à l’étranger d’une gestation pour autrui. De plus, pour autant que les requérants entendent dénoncer une discrimination dont la troisième d’entre eux aurait à souffrir du fait de cette différence de traitement, la Cour renvoie aux paragraphes 81-82 ci-dessous. »
La juge O’Leary précise que l’attitude des requérants ne peut en l’espèce que « donner une impression erronée de la portée de la jurisprudence européenne dès lors qu’elle n’a pu traiter le cas de la mère non gestatrice mais liée génétiquement à l’enfant. »
CEDH D c. France 16 juillet 2020 – Opinion séparée et concordant du juge O’Leary §10 : « Il s’ensuit que, dans la présente affaire, tant les requérants (qui se sont abstenus de communiquer des informations essentielles au niveau interne et devant la Cour et de se pourvoir devant la Cour de Cassation, et qui ont élargi tardivement leur grief relatif à l’article 14 devant la Cour) que le gouvernement défendeur (qui n’a pas soulevé d’exception d’irrecevabilité pour non-épuisement) ont placé la Cour dans une situation impossible. En s’abstenant de soulever une exception d’irrecevabilité pour non-épuisement, le Gouvernement n’a pas permis à la Cour de statuer par voie d’une décision concluant à l’irrecevabilité pour cette raison limitée. En ce qui concerne les requérants, outre que leur façon de plaider leur affaire pose de multiples problèmes, une décision de la chambre concluant au défaut manifeste de fondement pour leur grief relatif à l’article 8 de la Convention aurait pu donner une impression erronée de la portée de la jurisprudence actuelle de la Cour relative à l’article 8 de la Convention, dès lors que la Cour n’a pas encore traité le cas de figure d’une mère d’intention génétique »
Elle évoque l’information selon laquelle la mère d’intention était liée génétiquement comme étant « cruciale » et liste plus loin les questions de droit non tranchées par la force des choses et de la stratégie juridique choisie par les requérants. Elle rappelle enfin l’importance que la Cour accorde au lien biologique.
CEDH D c. France 16 juillet 2020 – Opinion séparée et concordant du juge O’Leary §20 : 20. Compte tenu de l’importance que la Cour attache jusqu’à présent à l’existence d’un lien biologique entre le(s) parent(s) d’intention et l’enfant issu d’une GPA (voir Mennesson, précité, § 100 ou Paradiso et Campanelli c. Italie, no 25358/12, §§ 157 et 195, 24 janvier 2017), il reste à savoir si la marge d’appréciation des États membres en vertu de l’article 8, lu seul ou combiné avec l’article 14, permet la transcription à l’égard du père biologique d’intention alors que le lien de filiation avec la mère génétique d’intention doit être établi par voie d’adoption. Que l’on soit d’accord ou pas, l’importance du lien biologique se trouve au cœur d’autres affaires, liées ou non au contexte de la GPA, qui portent sur l’article 8 de la Convention (voir, par exemple, Mandet c. France, no 30955/12, § 59, 14 janvier 2016, et Boljević c. Serbie, no 47443/14, §§ 28 et 54, 16 juin 2020, où, du point de vue de l’enfant, l’établissement de l’identité du père biologique a été considéré comme étant « un intérêt vital protégé par la Convention » même après le passage de plusieurs décennies)
Mme O’Leary pose la cruciale question de savoir si les juridictions internes vont pouvoir continuer d’appliquer le dicton « mater semper certa est » au regard de l’intérêt supérieur de l’enfant et de l’article 8 de la CESDH.
CEDH D c. France 16 juillet 2020 – Opinion séparée et concordant du juge O’Leary §21 : « 21. Pour les raisons exposées ci-dessus, cette affaire ne permettait pas, à mon sens, à la Cour de répondre à de telles questions. Tôt ou tard, les juridictions nationales pourraient être confrontées à la question de savoir si le dictum mater semper certa est doit ou peut toujours être appliqué par les autorités internes comme il l’a été en l’espèce par la cour d’appel de Rennes, qui a rattaché « la maternité avec l’acte charnel d’accouchement » (voir le paragraphe 10 de l’arrêt de la chambre). Dans une telle affaire, la protection de l’intérêt supérieur de l’enfant concerné restera primordiale lors de l’examen mené sous l’angle de l’article 8 de la Convention »
Après avoir fait le constat d’une procédure en adoption inappropriée en l’espèce au regard du lien génétique existant entre sa mère d’intention et l’enfant et par voie de conséquences, après avoir caractérisé l’intérêt à agir des époux S et T, la Cour d’Appel de Metz s’attachait à vérifier que les 3 conditions de l’exequatur, fixées par l’arrêt Cornelissen de la 1ère chambre civile du 20 février 2007, étaient réunies en l’espèce.
Si celles relatives à la compétence indirecte du juge étranger et l’absence de fraude à la loi n’appelaient guère de développements, la Cour s’attardait sur l’absence nécessaire de trouble à l’ordre public international français de fond portée par le jugement de filiation étranger.
La Cour d’Appel de Metz, considérant les fondements français actuels du droit de la filiation, comme étant l’égalité entre les enfants et la « vérité notamment biologique » indique que l’établissement de la filiation maternelle non gestante mais biologique ne contrevient pas par lui-même à l’ordre public international français, pas plus le fait que la femme qui a accouché et qui a régulièrement renoncé à ses droits ne soit pas considérée comme la mère de l’enfant.
En tout état de cause, la Cour rappelle la jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle le mode de conception de l’enfant ne peut lui être opposé pour lui refuser des droits au nom de l’intérêt général.
Que le refus d’exequatur contreviendrait au droit au respect de la vie privée et familiale de l’enfant, dont la filiation est une composante majeure.
Sur les effets de l’exequatur, la Cour indique que sa décision confère tous ses effets à celle ayant établi la filiation pleinement et entièrement. Qu’il n’y a donc pas lieu de préciser qu’elle portera ceux de l’adoption plénière.
Sur ce point, la Cour d’Appel de Metz se distingue d’une jurisprudence constante sur le territoire et notamment de la Cour d’Appel de Paris (CA Paris du 17 janvier 2023 RG21/17455) plus orthodoxe en la matière puisqu’il est habituel que le juge français sans dénaturer la décision au fond doive en indiquer les effets sur le territoire français pour l’intégrer à l’ordre juridique du for.
Il n’est pas inutile de rappeler que notre ordre juridique ne connait pas l’établissement judiciaire de la filiation de l’enfant avant naissance.
Pour aller plus loin : Étude jurisprudentielle sur l’exequatur après GPA à l’étranger – Laurence Brunet et Marie Mesnil – AJ Famille 2023 p374.