Un important arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence du 6 juillet 2021

Alors que le projet de loi relatif à la bioéthique voté en dernière lecture par l’Assemblée Nationale le 29 juin 2021 entend donner un coup d’arrêt aux transcriptions des actes de naissance des enfants nés grâce à une gestation pour autrui, la Cour d’Appel d’Aix-en-Provence vient de rendre un important arrêt très motivé visant à consacrer les liens de filiation d’un enfant né aux USA, tant à l’égard de son père génétique qu’à l’égard de son père d’intention.

Deux français pacsés, A et B ont entrepris il y a plus de 5 ans un projet parental qui les a amenés aux Etats Unis. Leur petite fille C est née dans le courant de l’année 2016 dans le comté de Philadelphie, suite à une convention de gestation pour autrui conclue avec D, mère porteuse dite gestationnelle, signifiant que l’enfant a été conçu avec les gamètes de A et ceux d’une donneuse anonyme.

A la naissance de C, A et B ont saisi le tribunal du Comté de Philadelphie afin que les deux pères soient reconnus légalement comme tels, suivant une procédure dans laquelle la constatation du lien génétique de A à l’égard de C permettait l’établissement de la 1ère filiation paternelle, la 2ème filiation paternelle s’établissant par une adoption par B de l’enfant de A.

Rien de surprenant dans ce Comté, la gestation pour autrui n’y est pas interdite et elle est même une méthode courante de création des familles.

Fort d’un acte de naissance américain mentionnant les deux papas, la petite famille est rentrée en France et a cherché à obtenir la transcription de l’acte de naissance américain sur les registres français de l’état civil sur le fondement de la décision du Comté de Philadelphie. Refus leur a été opposé en raison du fait que le couple n’était pas marié au moment du prononcé de la décision du Comté de Philadelphie (la France ne connaissant à ce jour dans l’adoption intrafamiliale que l’adoption de l’enfant du conjoint supposant donc que l’adoptant soit marié au père légal).

Pour des raisons de stratégie et d’efficacité juridiques, nous avons alors ensemble convenu de solliciter du tribunal judiciaire du domicile de la famille le prononcé de l’exequatur de la décision d’adoption du Comté de Philadelphie, qui revient à voir prononcé sur le sol français la force exécutoire du jugement étranger.

Ces choix stratégiques sont importants à opérer car transcription/exequatur ou adoption ne présentent ni les mêmes caractéristiques, ni la même procédure, ni la même efficacité.

Ils doivent être réfléchis dès le début du projet parental car ils conditionneront également selon le pays où la GPA s’organise, le mode d’établissement de la filiation de l’enfant dans son pays de naissance.

Le tribunal judiciaire de Marseille, par décision du 4 février 2020, a rejeté la demande au motif que la gestation pour autrui en France est interdite et que la décision d’adoption obtenue aux Etats Unis, eu égard au procédé employé, l’a été en fraude à la loi française, «  la voie de l’exequatur ne peut permettre de valider a postériori une convention de mère porteuse sur le territoire français »

Appel de cette décision a été interjeté par A et B et la Cour d’Appel a réformé cette décision très logiquement mais avec une motivation importante.

La Cour d’Appel considère en effet que le jugement d’adoption a été rendu par une juridiction compétente et a fait une juste appréciation de la loi locale, l’enfant étant né aux Etats Unis, la mère porteuse et lui étant des citoyens américains ; « le tribunal étranger n’a pas été saisi pour faire échec à une décision ou une procédure engagée en France. »

La Cour rappelle également en substance :

« qu’il doit y avoir un juste équilibre entre l’intérêt de la collectivité comprenant, en France, l’interdit, d’ordre public, de la gestation pour autrui et l’intérêt supérieur de l’enfant à jouir de son identité d’être humain, ce qui inclut son lien d’adoption et ce qui participe de son droit au respect de sa vie privée qui se trouverait significativement affecté par la non reconnaissance du lien de filiation à raison de sa conception par la gestation pour autrui. »

« qu’en l’espèce, l’adoption consacrée par la décision du juge américain dont l’exequatur est demandée est  régulière et qu’elle correspond à l’intérêt de l’enfant alors que le renvoi à une procédure d’adoption en France, qui aurait les mêmes résultats et qui exige l’introduction d’une nouvelle instance ou à tout autre mode d’établissement de filiation admis, aurait des conséquences manifestement excessives en ce qui concerne le droit au respect de la vie privée de l’enfant compte tenu du temps écoulé depuis la concrétisation du lien avec le parent d’intention. »

Voilà donc une belle consécration du lien de filiation existant factuellement entre le papa d’intention et l’enfant depuis la naissance de l’enfant, aboutissement d’un projet parental réfléchi longuement et mené par les deux hommes dans le strict respect de la loi étrangère et de la volonté de la femme qui a porté pour eux leur enfant.

Le combat judiciaire a certes duré deux ans mais le résultat est à la hauteur des espérances.

Entreprendre un parcours de gestation pour autrui dans un Etat qui l’autorise est sans aucun doute le plus gratifiant dans une vie mais également sans doute le plus périlleux et il importe de le préparer avec intention, de le murir et de connaitre les méandres d’une jurisprudence et d’une loi française, pas toujours faciles à saisir.

N’hésitez pas à nous contacter pour en savoir plus.

Catherine Clavin

Avocate au barreau de Marseille, spécialiste en droit de la famille, des personnes et de leur patrimoine avec la qualification spécifique «droit de la filiation». Membre de l’Association des Avocats Spécialistes et Praticiens en Droit de la Famille, des Personnes et de leur Patrimoine, de la Commission Juridique de l’APGL, association qu’elle co-préside et de l’AFALGBT+, association qu’elle a co-fondée.

ALTERLINK – Avocates associées, cabinet basé à Paris et à Marseille, conseille et défend les justiciables sur l’ensemble du territoire français.